Et, tout en regardant les dates, en faisant les liens entre les noms sur les tombes, j'ai vu ce qui ressemblait aux barreaux d'un lit d'enfant ... je me suis approchée, et mon coeur a manqué un battement. Dans ce petit enclôt, fait de grilles de fer forgé peintes en blanc, juste quelques mots d'une infinie tendresse pour une petite Violette qui a vécu de juillet à août 1932.
J'ai pensé aux parents, à tout l'amour, l'espoir et la détresse, à ce petit lit qu'ils ont fait pour le repos de leur enfant. J'ai pensé à ce tout petit bébé. J'y pense encore. Je revois son petit lit, au milieu de cet endroit si calme, niché dans une vallée si belle, pour une enfant qui porte le nom d'une fleur.
Et ce vendredi, Catherine a posté un commentaire, où elle nous exhorte à ne pas hésiter à dire, à écrire, à faire résonner le nom des enfants absents ...
Alors oui, nommer les enfants qui ne sont pas arrivés jusqu'à naître, ou les enfants qui sont nés mais morts trop vite ... Les nommer pour les faire exister.
Pour que leurs parents sachent que cette petite vie a compté, qu'elle a touché des vies, qu'elle a changé des choses, qu'elle est présente dans le coeur d'autres personnes que ceux de la famille proche. Qu'on y pense, parfois. Qu'on essaie de se rappeler les dates anniversaires.
Je pense à d'autres enfants absents.
Ma prof de yoga prénatal, Catherine (aussi), attendait un bébé à l'époque où elle nous faisait cours ... et le jour où je lui ai envoyé une photo de ma nounette, rayonnante de fierté maternelle, en demandant des nouvelles de son bébé sans doute déjà né ... j'ai reçu un petit mail, très gentil, m'apprenant que le petit Noé n'avait pas pu naître.
J'ai failli répondre. J'ai failli cliquer sur la touche et écrire à quel point j'étais navrée, désolée, effondrée ...
Mais j'ai pris mon téléphone. Parce que me suis dit que si je ne le faisais pas, je ne saurais plus quoi dire par la suite.
Il paraît que presque personne n'a appelé. Les gens ont écrit, oui, mais pas appelé.
J'ai tellement gagné à l'avoir fait. Parce que Catherine avait envie de parler. Elle m'a dit "c'était une expérience lumineuse". Nous nous sommes revues, elle nous a fait partager cette lumière. Je me rappelle maintenant que quand elle, qui a accompagné tant de femmes enceintes, a senti qu'à 6 mois de grossesse elle allait perdre son bébé, elle a pensé "ça ne peut pas m'arriver à moi". C'est la pensée qui m'a percutée quand j'ai vu mon propre bébé, bleuissante dans les bras de son père.
Je ne savais pas qu'on pouvait vivre quelque chose de beau à ce point, dans cette relation si pure avec un enfant qui ne naîtrait jamais. Je sais que le papa a eu plus de mal à accepter cette perte, ils sont partis quelques mois sur un autre continent et j'ai perdu contact avec Catherine.
Je me rappelle que l'ours et moi, en l'apprenant, avons dit "c'est joli, Noé".
Petit Noé, sais-tu, je pense encore à toi.
Il y a aussi le fils de mon collègue, qui n'a pas survécu à un malaise similaire à celui de la poupette.
Une quarantaine de mamans d'août 2006 se sont recueillies le jour de son enterrement, et lui ont dédié le "titre de la semaine" au creux de notre forum : "Bon voyage, Maxence".
Où que tu sois, si tu es ailleurs que dans nos coeurs, j'espère que tu l'as senti, cet élan vers toi, petit Max. Mes amies se souviennent encore de toi.
J'ai écrit à son papa, et à travers Kriss c'est le souffle de Gabin et la sagesse incroyable de sa maman qui m'ont aidée, avec un peu d'inspiration de Loune aussi - je sais que ma lettre l'a touché, et peut-être, un peu réconforté.
Je le sais parce qu'un matin, mon collègue est venu me montrer les dernières images de son fils, le matin de sa mort. Comme il était beau, ce petit garçon de 6 mois, au visage rond, au sourire radieux, aux gestes vifs.
Comme la vie est injuste. Comme la vie fourmille d'imagination aussi, puisqu'une petite Amarante a vu le jour dans cette famille il y a un an ...
Petit Maxence aux si beaux yeux noirs, j'ai tenu ma promesse tu sais. J'ai allumé des bougies, dans les plus jolies églises que j'ai vues, celles où je me dis que si j'étais un ange, je m'y arrêterais bien une seconde. Alors si en plus il y a de vrais cierges, avec une vraie flamme qui va s'épanouir, apporter un peu de lumière et puis s'éteindre, alors j'en allume un pour toi.
Etais-tu là, petit Maxence, quand la poupette a failli nous quitter ? est-ce toi qui a alerté l'ours, qui lui a donné cette impulsion qui a sauvé notre enfant ?
Je voudrais dire à Cécile qu'elle aussi a pris sa place dans mes pensées. J'étais enceinte, mais Kriss ne le savait pas, quand elle m'a parlé de cette petite fille, au creux de sa maman, et de cette décision si affreuse et si limpide que les parents ont dû prendre. Un tout petit bout d'eux, qui dormait et dort encore. Un tout petit bout d'eux qui a touché le tout petit bout de nous, comme un relais - la vie est si fragile, la vie est si précieuxe.
Cécile qui aujourd'hui flotte auprès de sa maman, et veille sur son petit frère Axel, dont la venue au monde avait illuminé ma journée, et dont j'ai parlé ici.
Et je voudrais dire à sa maman que la fatigue et l'émotion ont sûrement leur part dans les larmes qui viennent plus facilement. Qu'à travers Axel elle voit peut-être les moments qu'elle n'aura partagé qu'en pensée avec sa fille ? Que chaque enfant qui naît doit prendre sa place au sein de la fratrie - et que la fratrie réagit, c'est normal, et Cécile en fait partie. Que guérir, c'est oublier, et qui veut oublier ? Les arbres gardent sur leur tronc la marque de chaque blessure, cicatriser ce n'est pas effacer - maintenant tu sais que nous sommes plusieurs à penser à cette blessure qui pulse en toi.
Axel est petit, il va te guider aussi, il va te montrer, comme ma poupette nous montre que la vie est si puissante.
J'aimerais te voir en vrai, Catherine, pouvoir t'aider, te soutenir quand je te lis si fragile, si désemparée, si isolée au sein d'une famille qui a posé un voile de tendresse et de plomb sur la mémoire de ta fille ...
mais en vrai je suis si maladroite.
Mais je pense à vous. Je t'embrasse.