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LE MARATHON

La semaine qui a précédé ta naissance a été un véritable marathon. Avec ta sœur en poussette (ou dans les bras), j'ai consulté une flopée de spécialistes divers, pour me donner l'espoir d'un accouchement "normal" …

L'ostéopathe, qui, après quelques manipulations, a réussi à rendre mobile mon bassin "très figé", et m'a donné des conseils pour respirer par le ventre et gérer la douleur, et aussi pour redresser mon utérus trop en avant (c'est vrai que là, le bébé n'appuie pas sur le col, c'est ennuyeux …).

Paloma, notre sage-femme, qui a commenté le tracé du premier (et unique) monitoring de ma grossesse " mais tu as des contractions !?". Elle disait ça d'un ton presque accusateur, j'ai dû me retenir de glousser "euh, je ne sais pas, je ne sens rien, c'est grave ?". De toute façon comme elle me l'a confirmé le bébé était très haut, n'appuyait pas sur le col, qui était toujours fermé et mi-long …et puis j'étais à quelques jours du début du 9ème mois …

Il y a eu la séquence écho-radio-gynéco : j'ai pris et maintenu des rendez-vous enchaînés le même jour dans le même quartier de Paris pour que le gynécologue puisse se prononcer, avec l'écho de ta tête, la taille de mon bassin, sur la possibilité d'une naissance par voie basse – malgré la cicatrice de la césarienne … Je suis arrivée en voiture, pile à l'heure, devant le cabinet d'échographie. Mais il m'a fallu 20mn pour trouver une place, faire un créneau (pourtant brillant), parvenir avec mon gros ventre à extraire la poussette, installer ta sœur, et trottiner jusqu'à l'accueil où on m'a orientée vers l'étage, et là on m'a annoncé que j'étais tellement en retard que le docteur était parti.

J'ai pleuré pendant 1h30 sans pouvoir m'arrêter. J'avais eu tant de mal à programmer et maintenir les rendez-vous, à trouver le chemin, j'étais si épuisée, j'avais tenté d'appeler en découvrant des travaux sur le trajet mais sans y parvenir, et alors que j'attends partout parfois plusieurs heures, voilà qu'on m'annonçait que je ne pourrais pas me présenter l'après-midi avec toutes les informations pour le gynécologue … La secrétaire m'a arrangé un rendez-vous en urgence le lendemain près de chez nous, et toujours en larmes je suis redescendue faire la radio du bassin.

Ta sœur, qui s'est pliée à tout ce marathon avec bonne grâce et une patience infinie, a assez mal vécu ce moment, où des inconnues ont dû la garder le temps qu'on nous expose au rayonnement … enfin j'ai pu sortir, après avoir appris que mon "très beau bassin" (comme on me le répétait à l'époque de la naissance de ta sœur) était en fait trop étroit à un endroit.

Dans le joli square où ta sœur a pu s'ébattre en attendant l'heure du dernier rendez-vous, ton père a tenté de me consoler au téléphone, je redoutais tellement cette seconde césarienne qui se profilait.

 

La chaleur était étouffante. En fin d'après-midi je suis arrivée en avance chez le gynécologue qui a pu me recevoir tout de suite, m'a rassurée sur la radio (il y a un jeu possible de quelques millimètres sur la dimension qui est un peu "étroite", les autres dimensions sont très honorables), a confirmé que le bébé était très haut et le col bien fermé … et a fait une écho de la tête : il était équipé. Si j'avais eu encore de l'eau dans le corps j'en aurais pleuré de soulagement …

Le verdict "on tente l'épreuve du travail", autrement dit pas de césarienne d'office, m'a dopée. Bien sûr, la tête du bébé étant vraiment grosse, il valait mieux que le bébé naisse assez tôt … si la naissance se faisait attendre, on ne pourrait pas éviter la césarienne. Mais, a précisé le médecin pour chasser le voile de tristesse inquiète qui assombrissait mes pensées, "parfois des bébés très haut descendent d'un coup" : le déclenchement de l'accouchement vient d'une mystérieuse alchimie entre la mère et le bébé.

J'ai pu annuler avec soulagement l'échographie du lendemain : le vendredi, dernier jour du marathon, il ne restait donc que l'anesthésiste et l'inscription à la maternité … ensuite, ton papa allait me soulager pendant le week-end, et je pourrais enfin souffler un peu, et préparer un peu ton arrivée (au moins faire de la place dans les armoires et préparer les valises pour la maternité).

 

La consultation avec l'anesthésiste a été brève mais sympathique, il me restait une prise de sang à faire. Ta sœur était toujours aussi patiente, mignonne et intenable, et malgré quelques informations qui manquaient et que j'ai proposé de rapporter le lundi, la secrétaire a validé mon inscription à partir de ce que j'avais apporté.

J'ai passé l'après-midi à courir après ta sœur à travers les squares de la ville, à la recherche des toboggans dont elle raffole, tout en traînant péniblement sa poussette. Je me sentais lourde, je sanglotais de fatigue, et SarahL était inépuisable …

 

PREMIERS SIGNES

Le soir, pour ne rien arranger, j'ai commencé à avoir vraiment mal au ventre. Encore des spasmes intestinaux, plus bas que d'habitude … décidemment, la grossesse et ma digestion ne font pas bon ménage, je n'aurais sans doute pas dû manger autant de fruits rouges toute la semaine.

J'ai attendu que ça se calme, sans résultat. Ta sœur a décidé qu'elle voulait téter. Je me demandais bien ce qu'il y avait à téter, ça devait être infect, mais elle adorait, elle est restée 45mn blottie contre moi … n'y tenant plus, j'ai demandé à ton père d'aller me chercher un médicament antispasmodique, j'avais vraiment trop mal.

Nous sommes allés nous allonger sur le futon, ta sœur a chahuté et est tombée sur mon ventre, j'ai crié, la pauvre a pleuré de peur, et ton papa m'a regardée me crisper avec inquiétude – j'ai consolé SarahL (elle ne l'avait pas fait exprès) et rassuré ton papa (ce n'est pas le choc, ce sont encore mes intestins qui font des nœuds) …

Une fois ta sœur endormie, ton papa aussi, j'ai attendu que les spasmes se calment. Normalement le médicament devait faire effet rapidement, et j'étais si fatiguée que je savais que je m'endormirais aussitôt que la douleur se calmerait.

Sauf que je n'y arrivais pas. Les ronflements de ton père me tapaient sur les nerfs, impossible de m'endormir, j'ai regardé le réveil, déjà 1h30 du matin, moi qui étais crevée.

J'ai attendu …

Je suis allée aux toilettes, plusieurs fois. Ah, effectivement j'avais la diarrhée. J'ai vu une petite goutte de sang rouge - je verrai ça demain, m'étonnerait que j'aie des hémorroïdes mais bon.

J'ai attendu …

Toujours mal.

 

L'ALERTE

J'ai recommencé à fixer sur le réveil l'écoulement du temps, en attendant que ça passe. 15mn. Encore 15mn. A nouveau 15mn …

Mon cœur a manqué un battement.

Cette régularité …

J'ai pensé aux cours de préparation pour l'accouchement - bien sûr ça ne risquait pas d'être ça, mais si c'était du prétravail ? "Proche des douleurs menstruelles" … comment savoir ? je n'ai jamais mal quand j'ai mes règles. "On peut sentir les contractions dans les reins, dans le bas du dos" … oui enfin là c'est plutôt le rectum.

Mon cerveau s'est emballé. J'ai gémi un peu fort, ton père a posé sa main sur mon bras "ça va ?" Oui, oui, toujours ces spasmes. Je ne voulais pas l'inquiéter inutilement.

J'ai pensé tout haut "je n'ai pas le n° de téléphone d'urgence de Paloma !". Bon, en même temps je savais quoi faire en cas de prétravail. Et je devais bien avoir un n° de portable dans mon agenda … J'essayais de respirer par le ventre. J'ai dit à ton papa "on n'a pas fait la reconnaissance anticipée !". Je ne voulais pas l'alerter inutilement, mais je suivais le cours de mes pensées "on n'a pas le cadeau de la petite sœur (celui que tu devais offrir à SarahL quand elle te verrait) … à ce stade ton papa a compris à quoi je pensais … Je l'ai à nouveau rassuré "je vais prendre un bain chaud, ça va se calmer".

Je me suis levée, déshabillée, ma culotte était pleine de sang …

J'ai pris une grande inspiration, je suis allée chercher le n° de téléphone de Paloma. Introuvable. J'ai appelé le répondeur du cabinet, puis celui du portable, aucun n° d'urgence.

J'ai sorti la fiche d'inscription de la maternité – bonne idée de m'être inscrite tout à l'heure - et j'ai appelé et demandé une sage- femme. J'ai expliqué, de manière un peu confuse : il était 3h du matin, je ne voulais pas les déranger, mais j'approchais du 9ème mois, j'avais des spasmes intestinaux, enfin ça y ressemblait, sauf que j'avais saigné, enfin pas une hémorragie, et avec les examens de ces derniers jours ça pouvait s'expliquer, et le bébé était prévu fin septembre et encore très haut donc c'était sans doute du pré-travail, je n'arrivais pas à joindre Paloma mais ce n'était peut-être pas la peine de la déranger, et même avec le saignement si je prenais un bain chaud ce n'était pas dangereux ?

La sage-femme a quand même a peu près compris, m'a rassurée : "si vous n'avez pas mal …"

… Ah, mais si, j'ai super mal !

Bon, nous sommes tombées d'accord sur un bain chaud.

Ton papa est arrivé dans mon dos, il avait entendu la conversation, zut, je ne voulais pas qu'il s'inquiète avec cette histoire de saignement. Je l'ai renvoyé au lit, j'ai fait couler le bain, j'ai pris un livre et attendu que ça se calme.

J'ai attendu longtemps.

Ca ne s'est pas calmé.

 

PREPARATIFS

Je suis sortie du bain vers 5h du matin.

Ok, la digestion n'est pas en cause.

J'ai vraiment très mal, et c'est de plus en plus rapproché.

Il faut qu'on aille à la maternité.

Il faut que j'appelle ma soeur pour qu'elle vienne garder la tienne. Il est tellement tôt, je vais essayer d'attendre – et laisser dormir ton papa …

Je rassemble tout le dossier de grossesse, je trouve le livret d'état civil, ma carte de rhésus sanguin. Je jette quelques affaires dans un sac. Je prépare l'appareil photo, je sauvegarde le contenu d'une carte pour la formater (ça c'est important …)

Je guette l'heure sur l'horloge de l'ordinateur. Je respire par le ventre, j'essaie de m'étirer, de me suspendre … la seule chose qui me soulage c'est de m'asseoir – enfin de me jeter sur le canapé - et de faire des cercles avec mon bassin. J'essaie de me détendre, de respirer.

6h00, j'appelle ta tante. Entre mes excuses qui pleuvent – pour la déranger, pour la réveiller, pour être à moitié incohérente, pour gémir en parlant … j'arrive à lui demander de venir … Elle est réveillée, elle comprend, elle réagit. Evidemment, samedi 2 août, on est jour de grand départ, les routes sont saturées, je ne sais pas si le taxi va passer … elle propose de prendre le RER, mais on ne pourra pas la chercher. Va pour le taxi. Elle insiste pour que je réveille ton papa. Oui, enfin je vais appeler la maternité avant.

 

La maternité me promet de contacter Paloma. Ils me disent qu'ils nous attendent.

Je suis un peu anxieuse, et si le sang que j'ai vu venait de la cicatrice ? mais il n'y a pas tant de sang que cela, et une amie infirmière m'a décrit les signes avant-coureurs d'une déchirure de la cicatrice, ça n'y ressemble pas. On me parlera plus tard du bouchon muqueux.


LE DEPART

Ta tante me rappelle, le taxi arrive vite, on se retrouve à la clinique avec SarahL ou elle vient chez nous ?

Je n'ai pas encore réveillé ton papa, je regarde l'heure, 6h30, autant qu'elle vienne directement ici.

Je tire ton père du lit.

Il s'habille, fait l'inventaire de ce qu'il faut apporter. J'ai tellement réussi à ne pas l'affoler qu'il pense qu'on va sans doute rentrer après le passage à la maternité.

Je fonds en larmes : "on n'a pas le cadeau de la petite sœur !" … je sais que ton papa est moins sensible que moi à ce détail … il me console. Ta tante arrive, ton papa me convainc de ne pas réveiller ta sœur pour l'embrasser, je me dépêche pour arriver à l'ascenseur puis à la voiture entre deux contractions. Dans le parking souterrain, vide, enfin, je peux faire du bruit, je m'autorise à gémir, presque à crier. En arrivant à la maternité je trouve sur mon portable un message de Paloma, je la rappelle. Il est 7h00. Elle est en route, elle ne comprend pas pourquoi je n'ai pas son n° d'urgence, elle a prévenu l'équipe que j'avais un"utérus cicatriciel" (je n'ai pas pensé à leur indiquer, je saurai plus tard que j'ai pris un gros risque), elle reste au téléphone pendant que je marche vers la porte de la maternité. Au bout du couloir. Le couloir est long de 5 contractions. J'ai mal. Je le dis au téléphone, Paloma me répond de respirer comme on l'a appris ensemble.

"On" ce n'est pas moi. Aucune idée de comment je suis sensée respirer pour ne pas avoir mal, ou alors ça ne marche pas.

 

J'arrive enfin au bout du couloir, on m'ouvre une porte, je passe mon téléphone avec Paloma en ligne à la sage-femme, Scarlett, pendant qu'on m'oriente vers une petite salle. J'explique que je n'ai pas mes analyses (je devais faire la prise de sang ce matin), et j'explique que j'ai très mal (ça ne soulage pas la douleur de saouler les autres avec ça, mais ça me réconforte de penser que quelqu'un est au courant).

Tout le monde (vraiment tout le monde : tout le personnel de la maternité semble avoir rappliqué, entre celles qui prenaient leur pause et passent voir où en est le travail, celle qui part en vacances et veut voir une naissance avant de partir et celle qui rentre de 5 semaines de congé et veut voir la première naissance à son retour, en plus de celles qui étaient déjà là et y restent …) explique à tout le monde "c'est une patiente de Paloma" avec un ton révérencieux.

 

PRISE EN CHARGE

Scarlett m'examine.

A ce stade, le suspense reste entier : trois possibilités. Soit c'est du prétravail (je n'y crois plus mais si c'est ça j'espère que ça sert à quelque chose, parce que je ne veux pas avoir plus mal que ça pour le jour J). Soit c'est le jour J et mon col résiste et c'est ce qui fait mal … et dans ce cas (bouche-toi les oreilles mon cœur maman va être grossière) fuck Paloma et sa méthode : je VEUX une péridurale. Soit c'est le jour J et on arrive à la fin du travail et c'est bientôt fini. Dans tous les cas je veux que la douleur s'arrête.

J'ai MAL. Je le dis, pour que quelqu'un l'entende.

 

La sage-femme commente (et précise au téléphone) que oui, là c'est bon, c'est ouvert.

Mais encore ?

Je pense que c'est le troisième cas : c'est bientôt fini. Ca veut dire qu'il va falloir gérer la douleur encore un moment. Les contractions arrivent toutes les 2 à 3 minutes. Je gémis que ça fait mal. Je me dis que je ne dois pas avoir l'air très vaillante, en même temps ce n'est pas du tout une préoccupation.

J'apprendrai plus tard que je suis arrivée à dilatation complète. J'ai fait tout le travail seule, à la maison. Je ne suis pas très présentable ni très cohérente à mon arrivée à la maternité mais dans quelques heures je serai quand même un tout petit peu fière de moi.

 

On me fait la prise de sang obligatoire.

Puis on m'emmène en salle d'accouchement.

Je cherche des yeux la configuration tellement vantée par Paloma, mais en réalité je ne suis pas dans "sa" salle d'accouchement. Je suis arrivée seule (sans Paloma), j'ai un utérus cicatriciel, on m'a emmenée dans la salle "classique".

 

On m'installe sur le dos. On me pique pour une perfusion. Ton papa arrive, il a passé une blouse verte. J'ai super mal. Une contraction arrive, j'essaie de respirer par le ventre. Je demande si je suis obligée d'être sur le dos, je me sens un peu comme une voiture pour la révision … La sage-femme répond que oui, c'est obligé.

Bon.

 

POUSSER COMMENT ?

Encore une contraction. Je demande timidement si c'est trop tard pour une péridurale, une auxiliaire me répond gentiment que oui, et Scarlett précise que là c'est bientôt fini, le bébé arrive.

Ah, voilà la bonne nouvelle.

Si je me rappelle mes séances de préparation, quand ça fait abominablement mal, il reste 20 minutes à souffrir.

Je ne veux même pas imaginer 20 minutes de plus. Je demande si on ne peut rien faire pour la douleur ?

On me répond "si vous avez mal, il faut pousser, c'est la seule chose qui peut vous soulager".

Cette réponse me scotche.

Là c'est en train d'arriver pour de vrai alors ?

L'irréversibilité du processus me percute de plein fouet.

Je n'ai aucune idée de ce que je suis sensée faire. Des heures de préparation, et je suis à la ramasse. Je sais bien ce qui se passe et les sensations que j'attends … mais je ne pige pas du tout ce que je dois faire, je veux dire, concrètement.

 

D'abord, si j'ai bien tout suivi, j'étais sensée avoir envie de pousser, ce besoin de pousser étant le signal que le bébé est engagé.

Là j'ai juste envie que ça s'arrête.

J'étais persuadée que mon corps savait de toute éternité ce qu'il avait à faire. C'est sûrement vrai, mais il est bien le seul, parce que moi je suis définitivement larguée.

Et puis j'ai mal. Je suis tellement désolée de gémir, je me confonds en excuses. La sage-femme me rassure, c'est normal d'avoir mal. Et répète : à ce stade, la seule chose à faire c'est de pousser.

Pousser … elle en a de bonnes : "pousser comment ?"

L'auxiliaire à ma droite me répond gentiment "pousser comme pour aller à la selle".

Ah oui … alors en parlant de ça … je n'avais pas le lavement alors, euh … je sens que ça risque d'être embarrassant …

Ton papa me coupe d'un ton bourru : c'est pas le moment de se préoccuper de ça.

Oui enfin il n'est pas à ma place, lui.

Une contraction arrive : je pousse.

L'auxiliaire m'encourage, me dit de pousser plus longtemps. Elle me montre les barres auxquelles me cramponner pour pousser.

La contraction est toujours là, je recommence. Je ferme les yeux, je me concentre. Ca ne me soulage pas du tout, mais ça y est, je crois que j'ai le truc. La sage-femme applaudit, c'est super ce que je fais. Elle a l'air réellement enthousiaste, je pense que je m'y prends comme un manche mais ça me fait du bien d'entendre ses encouragements.

 

VAS-Y MA CHOUPINETTE

La contraction est passée.

On attend la suivante. L'auxiliaire m'explique qu'il faudra que je pousse plus longtemps. Je suis pleine de bonne volonté.

Ton papa aussi. Il répète "allez, vas-y ma choupinette, vas-y". Je ne peux pas tenir sa main et les barres, mais il est là, aussi perdu que moi, c'est super.

J'essaie de respirer comme je l'ai appris, relâcher le visage, les épaules, souffler …

Je geins. Ca fait mal. Ca n'en finit pas … La sage-femme me dit que le bébé arrive.

 

Ne crois jamais une femme en vert, mon trésor. Cette sage-femme, c'est la deuxième fois en une demi-heure qu'elle me dit "votre bébé sera là dans 3 ou 4 minutes".

 

L'auxiliaire me demande si je veux qu'on me donne mon bébé dans les bras ou sur la peau ? c'est surréaliste, je réponds "sur la peau !". Elle remonte mon t-shirt pour dégager la peau.

 

Une contraction enfle. Je prends ma respiration. Non, c'est pas ça. J'expire, je reprends ma respiration, avec le ventre : je m'applique. Je quête l'approbation dans les yeux de l'auxiliaire à ma droite, je ferme les yeux, j'agrippe les barres, et je pousse de toutes mes forces. Je suis en apnée, j'ai mal j'ai mal jaimaljaimaljaimal, je remonte à la surface, j'aspire de l'air, l'auxiliaire me guide "encore, plus longtemps", je replonge, je pousse …

Je ne sais pas ce que la sage-femme fait plus bas, elle doit dégager la voie et étirer le périnée, en tout cas je sens ses doigts qui passent et repassent, je râle que ça fait mal. On m'arrose de je ne sais pas quoi.

La contraction est passée. Tout le monde relâche la tension.

 

Ton papa a presque l'air impressionné, c'est dire s'il doit l'être. Moi je suis contente, je commence à bien prendre le coup de pousser. Je m'entraîne sur la contraction suivante … mais ça fait si mal, je ne vais pas tenir … j'explique que je vais mourir. La sage-femme me répond que je me débrouille très bien. Elle répète que je suis la seule à pouvoir agir … l'auxiliaire répète que je dois pousser le plus longtemps possible.

 

Tu vas arriver, d'après ma préparation la douleur va s'arrêter, je vais te sentir passer, une brûlure quand tu élargiras la déchirure des restes de l'hymen, et un moment charnel quand tu chemineras jusqu'à la sortie, j'attends ces sensations, mais ça fait trop mal pour l'instant …

 

JE REVE

Une nouvelle contraction. J'ai mal. J'inspire. J'agrippe les barres. J'essaie de relâcher mon visage, mes épaules, je ferme les yeux, je pousse. Je pousse, de toutes mes forces. Tous les vaisseaux de mon visage vont exploser, je tiens bon, je pousse, je suis en apnée, je pousse, j'ai compris comment on fait, j'ai compris ce que je fais, je pousse, je ne suis plus qu'un effort pour arrêter la douleur, pousser, le bébé doit s'engager, j'agis : je pousse.

Je remonte à la surface, je prends une inspiration, je replonge aussitôt, toute mon énergie, toute ma volonté, je ne pense plus à rien d'autre et même pas à toi, et même pas à moi

 

et d'un seul coup quelque chose lâche, je sens un flot de liquide tiède, un paquet humide et gluant est éjecté, tu es au bord de moi, je n'ai rien senti de ce qui était prévu, la sage-femme passe encore ses doigts – elle te dégage, l'auxiliaire me dit de pousser, je continue, j'ai les yeux grand ouverts, la sage-femme me dit "vous pouvez l'attraper"

 

je rêve

 

je peux ?

je peux vraiment …

 

je me penche, je te saisis sous les bras, tu es tiède et visqueuse, je te ramène et te pose sur mon ventre, mon bébé, mon bébé

 

mon bébé

 

qui se met à crier, à pleurer, petite boule de vie sur mon ventre

 

il est 7h39

 

je regarde ton papa, je suis émerveillée … il a l'air ému, c'est dire s'il doit l'être.

La sage-femme l'appelle pour couper le cordon. Il dira plus tard que ça ne l'a pas interpellé plus que ça, mais moi ça m'a remuée

et ce qui me bouleverse

c'est ce petit reflet humide dans ses yeux quand il se retourne vers nous, et qu'il se penche vers toi, vers nous, qu'il te contemple. Il me dit "merci ma choupinette". Je réponds "merci mon choupinou". Je pense "je t'aime", mais je n'ai pas le temps de le formuler, on vient te prendre "elle est prématurée, il faut qu'on vérifie si tout va bien, on vous la ramène le plus vite possible".

Je supplie qu'on me laisse te regarder, je n'ai même pas vu ton visage, ni croisé ton regard. Je fais durer le plaisir et puis je te confie …

 

Tu restes juste à côté, je ne te quitte pas des yeux. L'expulsion du placenta est totalement indolore, en une poussée. Tu es vigoureuse, on nous demande ton prénom …

 

Euh

 

"Donnez-nous 3 minutes …"

 

Je regarde ton papa, nous sommes seuls au monde tous les deux. Je lui dis doucement que je n'aime aucun des prénoms qu'il a proposés - mais vraiment aucun - et je lui indique celui auquel je me suis résignée, même si je suis triste parce qu'il ne me plait pas … et puis je demande d'une toute petite voix "mais tu n'aimes vraiment plus "Elsa" ? "

Ton papa réfléchit, hésite ...

 

Quelqu'un demande ton poids, la sage-femme ricane "tant qu'on ne me donne pas le prénom, je ne donne pas le poids".

Ton papa dit "d'accord pour Elsa"

 

ELSA

J'ai l'impression que la terre vient de recommencer à tourner. Je lui demande s'il est sûr, s'il n'aura pas de regret … il répond que tant qu'on n'a pas fait la déclaration on peut changer. Mais dans quelques heures il appellera ta grand-mère et lui dira ton prénom "Elsa", et elle dira qu'elle adore. Tu as un prénom ma poupette. Il nous faudra quelques semaines pour nous y habituer …

 

Paloma arrive dans la salle d'accouchement, elle gronde, elle râle, elle est arrivée trop tard, je n'ai pas trouvé son numéro d'urgence, elle est furieuse et vexée.

Elle a appelé le gynécologue, au cas où il y aurait eu un problème avec la cicatrice.

J'apprends qu'il va me recoudre une petite déchirure.

Elle s'occupe de toi, et interdit qu'on te lave. Tu reviens sur mon ventre, contre ma peau. Tu n'auras jamais été dans une couveuse, c'est moi qui vais te réchauffer. Elle nous demande où sont tes vêtements. Ton père et moi échangeons un regard, et pouffons – ils sont à la cave, tu n'étais pas attendue si tôt.

Ton papa retourne à la maison, je pense à ta sœur, elle va se réveiller, il n'aura pas été absent trop longtemps.

Je reste avec toi contre ma peau, j'entends Paloma continuer à râler dans la pièce à côté, on m'a laissée écartelée, les pieds dans les étriers, c'est inconfortable, j'attends le gynécologue … je t'installe près de ma poitrine, j'attends que tu réclames.

 

Tu tètes pour la première fois de ta vie. Oh mon bébé.

 

Le gynécologue arrivera au bout d'une heure, il commentera "si tous les utérus cicatriciels se comportaient aussi bien" … il va me recoudre, presque à vif (l'anesthésie locale ne fonctionnera pas bien), je vais hurler et sangloter en agaçant Paloma au passage "arrête, c'est très exagéré" (qu'est-ce qu'elle en sait, elle ? je suis bien contente qu'elle n'ait finalement pas été là). Ton papa va revenir avec quelques affaires, et je vais, bousculée par Paloma toujours vexée, me lever, sidérée (eh oui, pas de péridurale donc je peux marcher !) et t'emmener moi-même dans la chambre.

Ton papa me donnera des nouvelles de ta sœur, puis dans quelques heures il reviendra avec elle et ta tante, et SarahL te rencontrera pour la première fois. Tu la fascines.  Il ira ensuite faire quelques courses, te trouver des vêtements à ta taille (tu es tellement menue que tu flottes dans le 1 mois), et trouver le "cadeau de la petite sœur", pour me tranquilliser, j'y tenais tant … (mais je ne suis pas sûre que ta sœur aura finalement bien percuté que tu lui as apporté un cadeau …)

 

Je vais être en bien meilleure forme qu'après la césarienne, dopée par cette naissance de rêve. Il restera pendant une douzaine de jours la douleur des points, et aussi une douleur plus sourde, à cause de la constipation – réaction psychologique liée à la peur d'avoir mal … je vais boire du jus de pomme pendant dix jours … 

 

Tu feras une petite jaunisse, la clinique sera très alarmante mais Paloma – redevenue sympathique – interviendra … sa parole touche au sacré … et elle aura raison, la jaunisse partira, la prise de poids va s'amorcer très vite, il nous restera à prendre nos repères en famille.

 

Je vais connaître aussi une nostalgie de ma grossesse, ces semaines avec toi au creux de moi que je n'aurai pas connu … je ne suis pas allée au bout. Parfois je suis triste d'être vide de toi.

 

Mais tu es là à présent, enroulée contre mon flanc, repue, mon tout petit chaton.

 

Merci pour cette naissance, ma si douce.

 

 

 

 

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