"La vie a plus d'imagination que les rêves", dit un des personnages du film La Belle Histoire de Lelouch.
Je me disais, la vie elle ne doit pas rêver pour tout le monde pareil.
Ou peut-être qu'elle ne rêve pas pour tout le monde en même temps. C'est comme le soleil, il se couche pour certains quand il se lève pour d'autres.
Parce que nous, ça va. La poupette a totalement récupéré, limite parfois on voudrait bien retirer les piles. Elle nous épuise, c'est chouette. La nounette est extra, crevante aussi. Et la choupette nous a rejoints, et s'intégre en douceur ...
Tout ça en 4 ans, sans souci, on en a de la chance.
Et puis je regarde autour de moi, et il y a de jolies nouvelles.
Angèle aussi épuise sa maman, exaspérée et ravie de la voir galoper partout, escalader n'importe quoi, jouer et se chamailler avec son aîné. Finalement elle n'a rien, aucune anomalie, peut-être juste un sale effet secondaire du vaccin ROR dont on parle peu.
Soazig a récupéré si vite et si parfaitement que c'en est miraculeux. Elle est peut-être déjà grande soeur, elle a repris sa vie de petite fille ... et il ne reste à ses parents qu'à réussir à tenir à distance le traumatisme de ce jour terrible, pour affronter le stress plaisant de l'arrivée d'un nouveau-né ...
Et puis il y a ces moments de lumière après le deuil d'un enfant, la petite soeur de Maxence chez un de mes collègues, la naissance après Cécile du mignon petit Axel de Catherine, l'annonce d'une grossesse pour la maman de feu Erwann, un de nos enfants d'août 2006 ...
Mais parfois la lumière se voile.
Je pense toujours à une minuscule Zia que je n'ai pas connue, et à une petite Eva que je ne connais pas - et pour qui j'espère autant que je désespère.
Je pense à d'autres parents rudement éprouvés.
Je pense même parfois aux enfants que j'ai croisés à Necker.
A ce petit Alexis, notre voisin de chambre, un enfant si beau qui ne marchera jamais, et à sa maman qui en souffrait tant. Comment va-t-il, et elle, a-t-elle trouvé la paix ? Je me rappelle cette émission qu'elle regardait, dans le sifflement sourd de la nuit hospitalière, buvant les paroles de Jean-Louis Fournier qui commentait son livre ("On va où, papa ?" - récit où il raconte avec un humour désespéré - presque insoutenable - ses deux fils handicapés ...). Je l'ai lu depuis, ce livre, et je pense aussi à cet homme qui a vécu l'enfer et n'en est pas revenu.
Et je pense également à cette petite fille polyhandicapée croisée à Necker. Sa maman infirmière m'expliquait qu'elle avait fait tous les dépistages imaginables pendant sa grossesse pour éviter d'avoir un enfant avec un handicap. Mais le handicap de sa fille ne s'était révélé qu'à 6 mois. Et cette maman, solaire, concluait que cette rencontre devait avoir lieu, et que c'était une chance que cette enfant soit née d'elle, parce que la pathologie était si lourde que d'autres parents moins bien formés n'auraient pas su s'en occuper.
Je me rappelle les autres petites voisines de la poupette, des petites filles de son âge à qui je chantais des berceuses.
Et je pense à Albane, que je connais un peu plus. Notre petite Fée Clochette des bébés de septembre 2008, si fraîche, si vive.
Le diagnostic a été confirmé.
Le traitement a commencé.
L'immersion dans le monde de cette maladie est rude pour ses parents. Trop de concret, trop vite, trop lourd, trop tôt. La famille est encore sonnée et déjà il faut assimiler les informations, la vingtaine de médicaments quotidiens, les séances de kiné, les déplacements, les consultations, les financements ...
Petite Albane, tu en as du courage.
Tu vis ta vie de petite fille, toujours aussi gracieuse, rigolote, curieuse - pénible aussi, j'en suis sûre !
Une vaillante petite fée, qui va apprendre à son entourage que les enfants malades ne sont pas tristes.
Je me souviens de l'époque où j'allais le samedi distraire des enfants hospitalisés à Necker.
Dans ce service, c'étaient les adultes qui étaient tristes et silencieux.
Le premier jour, j'ai failli me faire renverser par 2 gamins en pleine course-poursuite. Ils slalomaient entre les infirmières, tirant avec eux le pied à roulettes de leur perfusion, et dérapaient avec dans les couloirs sans s'arrêter.
Je revois ce petit garçon aux grands yeux de velours brun, aveugle, à qui j'avais décrit le pays du père Noël.
Je me rappelle que les seuls patients abattus, c'étaient ceux qui avaient presque mon âge, déjà plus des enfants.
Albane a une maladie, une sale maladie, difficile et oppressante ... mais elle n'est pas une enfant malade.
J'y repensais en lisant le commentaire de sa maman, éblouie par sa petite magicienne.
Je me disais, à quoi elle rêve, la vie, pour Albane ?
Mais si c'est vrai que la vie a plus d'imagination que les rêves, alors peut-être que c'est nous, les adultes qui manquons d'imagination. Peut-être qu'il y a de la magie derrière tout ça. Peut-être qu'il y a de grandes choses qui se préparent, une famille qui va se transcender, une fillette qui vivra plus intensément.
Moi je ne suis qu'une terrienne, je ne comprends pas. J'ai du chagrin, de la colère, de la peur aussi. Je voudrais pouvoir alléger le fardeau de Sophie, la maman d'Albane, je voudrais savoir l'aider.
Je voudrais surtout pouvoir lui dire quelque chose d'impossible, comme "allez, tout ira bien".
Mais Albane, c'est sa vie à elle. Et je pensais, juste avant de lire le commentaire lumineux de sa maman, que c'est elle qui va nous guider. Sa famille, ses parents, et tous ceux qui les entourent, de près ou de loin.
C'est elle qui va, un jour après l'autre, domestiquer son mal, et inventer sa vie avec. Et toucher de sa vivacité, de sa douceur obstinée, des gens qu'elle ne croisera même pas. Elle va nous apprendre les ressources de la vie, même à nous, lointaines copinautes de Sophie.
Peut-être que c'est même Albane qui donnera du sens à tout ça.
Albane la fée.
Albane la magicienne.
Albane qui nous a déjà changées.
Je pense à toi.